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Nicole Vivek
5 novembre 2007

Nicole Vivek 3/16

On danse pour s'amuser, pas pour gagner sa vie.

 Mais moi, je sentais le besoin accablant d'explorer toutes les façons de bouger du monde entier. Je cabriolais dans tous les coins dès lors que mes oreilles percevaient le plus petit son mélodieux. Pourquoi pas, disaient mes parents, du moment que tu ramènes des bonnes notes. J'ai pris ça au pied de la lettre, et je me suis donnée beaucoup de mal pour récolter ces fameuses bonnes notes. Je n'avais hélas pas vraiment les mêmes facilités que mes frères et sœur. Plus je trébuchais à l'école, et plus l'on me submergeait de cours particuliers, de devoirs de rattrapage, de tout plein de ce temps que j'aurais préféré passer à perfectionner ma gestuelle. Mais si j'ai fait autant d'efforts à l'école, c'était parce que je croyais dur comme fer que tôt ou tard mes parents m'inscriraient dans un sport étude, ou dans quelque école spécialisée où la danse ferait intégralement partie du programme. J'ai été bête d'envisager une seule seconde que cette idée ait pu les effleurer. J'ai du très vite me faire une raison, et faire un choix. Soit je me consacrais exclusivement à mes études, suant à grosses gouttes pour satisfaire mes parents et pour obtenir un boulot confortable, soit je décidais de partir à l'aventure, d'entrer dans le monde ingrat des artistes et de subir perpétuellement les reproches de ma famille. A l'époque du lycée, je me torturais l'esprit, consumée par ce dilemme que je croyais crucial et délicat. Et finalement, c’est sans larme et sans rancune que je me suis rangée bien sagement sur le banc de la gentille fille à ses parents. Je me suis alors forcée à croire que j’avais pris la bonne décision, et j’ai fini par le croire vraiment. Je n’ai jamais pu accuser mes parents de quoi que ce soit. Aujourd'hui, j'ai vingt-cinq ans, je suis un notaire très respecté, très bien rémunéré. Je suis célibataire certes, mais je ne compte pas le rester. J'arrive quelque fois à trouver du plaisir dans mon travail. Mais sincèrement, j'ai beau essayé de me convaincre, la seule chose qui me rende encore heureuse aujourd'hui, c'est quand je me retrouve seule chez moi, que je mets la musique, et que j’entre littéralement en transe. A bas le tailleur ! Un vieux t-shirt suffit ! Si seulement tout pouvait se résumer à ça ! On ferme les yeux et on se laisse aller...

 Peut-être n’ai-je aucun talent. J'ai abandonné les cours de danse trop tôt pour savoir ce que je valais. Ce que je sais, je l'ai appris toute seule, et il n'y a que mon fidèle miroir qui puisse me dire si c'est bien ou pas. Mes parents ne m'ont jamais interdit les cours de danse, ils m'ont seulement imposé un soutien scolaire particulièrement intensif. Et les deux se combinant difficilement, il a fallu sacrifier quelque chose. Toujours est-il que maintenant, je suis une danseuse frustrée, une fille qui est obligée d'exprimer sa passion dans son salon et certainement maladroitement. Mais peut-être que je gâche mon génie...

 En tout cas, au jour d'aujourd'hui, alors que je m'étire, j'apprécie les regards que l'on porte sur moi. Je ne cherche pas à savoir ce qu'ils signifient. Peut-être ai-je l'instinct de la grande danseuse toujours sous les projecteurs, toujours offerte au regard du public. Mais mes rêves restent dehors lorsque je rentre dans ma voiture et que je ferme la portière. Quand je sors du parking, le ciel déverse instantanément une pluie torrentielle. Ma vie est comme ça, providentielle, et sans surprise.

 

 

 La semaine s'est déployée avec calme et volupté... Et même si je n'arrive pas à adorer mon boulot, je le fais avec autant de professionnalisme que possible, mais sans débauche d'énergie. Tous les matins, je traîne les pieds, j'ouvre mon bureau avec le sentiment amer de perdre mon temps. Je fais ce qu’il y a à faire, j’essaie d’être la meilleure, et j’y arrive sans trop de difficulté. Le minimum m’octroie la préférence du patron, préférence purement professionnelle. Les autres me respectent parce que je fais du bon boulot, et parce qu’ils croient que je m’épanouie dans ces méandres de paperasses. Je ne peux pas dire que je déteste mon boulot, mais de là à dire que je l'adore ! Par moment, je ressens un tel ennui ! Je sais bien qu'il y a des tas de gens qui ont un job par simple souci financier, pour payer les factures et les courses. Je sais bien que je ne suis pas la seule au monde à ne trouver aucun plaisir dans son boulot. Je sais bien qu'il y en a qui envient mon salaire. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Mais si seulement ils savaient que j'échangerais volontiers tout ça contre la liberté de danser !

 Tout ça étant, je ne suis pas là pour ressasser ma semaine. C'est justement pour évacuer toutes les tensions du cabinet que je viens courir ici. Si je m'éloigne de chez moi, c'est un peu pour m'éloigner de mon quotidien, alors finies les pensées noires ! 

 Il a plu toute la nuit. Je respire cette odeur particulière de terre mouillée qui me rappelle les promenades familiales au bois de Vincennes. Il fait frais. Ça fait à peine cinq minutes que je suis partie et je sens déjà mes joues en feu. Il y a des jours comme ça où on ne se sent pas très courageuse. J'ai eu du mal à me sortir du lit ce matin. J'ai même failli me convaincre que faire une exception ne me serait pas fatal. Mais j'ai fini par faire taire cette petite voix mielleuse, et c'est avec poigne que j'ai enfilé ma tenue. Manquer mon rituel ! Que je sois maudite si je deviens paresseuse ! Alors me voilà, fraîche et dispos, frissonnante sous une température pas très généreuse. J'aperçois le pont d'Irwyn, je n'ai même pas fait la moitié...

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