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Nicole Vivek

5 novembre 2007

Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui visitent

Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui visitent mon blog et qui prendront le temps de me lire.

Mon rêve le plus cher est de voir un jour mon nom dans tous les rayons « nouveautés » des librairies. Est-ce que c'est prétentieux ? Je ne pense pas qu'un rêve puisse être prétentieux. Mais j'ai une idée précise de ce à quoi ressemblerait mon livre. Il serait à la frontière du roman et de la nouvelle, à la frontière de la bande dessinée et de l'album pour enfant, à la frontière du livre d'images et du récit illustré. J'aimerai que de grands photographes s'approprient mes histoires pour les rendre réelles à travers leurs clichés. J'aimerai que mes récits ne soient pas seulement des œuvres écrites, mais des œuvres visuelles, des œuvres d'art. Avis aux amateurs !

Lisez-moi, commentez-moi, diffusez-moi. Aujourd'hui, le monde d'internet regorge de possibilités. Pourquoi pas celle de se faire connaître ? Envoyez le lien de ce blog à toutes vos connaissances. Et qui sait ? peut-être arrivera-t-il un jour sur le bureau d'un éditeur...

Je vous souhaite bonne lecture...

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5 novembre 2007

Nicole Vivek 1/16

 J'habite la très jolie et très huppée ville de Versailles. J'y ai grandi, j'y habite, j'y travaille, ma vie en fait n'a pratiquement connu qu'elle en décor. C'est à la fois rassurant et étouffant. Je ressens souvent le besoin de m’éloigner de ces rues sans surprise. Et quand la pression est trop forte, je m’en vais courir. Et je trouve l’apaisement que je cherche en longeant la Seine. C’est souvent le samedi que j’enfile mes baskets. Quel que soit le temps, je suis là, déterminée à suer. Déterminée également à oublier pour un temps mes frustrations de notaire célibataire. 

 Pour cela, la Seine est idéale. Je cours avec sérieux, et je laisse mon esprit vagabonder au gré du mouvement de l'eau. J'observe les promeneurs, les autres joggers. J'en salue quelques-uns de la main, ce sont des visages que je croise souvent. Mais, alors qu'il serait peut-être plus agréable d'avoir un compagnon de jogging, de faire la connaissance de quelqu'un qui partagerait le même loisir, je n'ai jamais adressé la parole à qui que ce soit. C'est dommage. J'aimerais bien pourtant, mais à chaque fois qu'un début de conversation s'ébauche, pfft... je m'évanouis dans la nature. Je m'échappe d'un pas instinctif. C'est plus fort que moi. Alors, au final, c'est toujours seule que je cours, comme c'est seule que je mène ma vie.

 Je fends l'air, l'air d'un été qui prend fin. Il fait encore chaud, mais les nuages ne sont plus ceux qui ont orné le ciel tout au long de la canicule estivale. Aujourd'hui, dès huit heures du matin, il fait lourd, le ciel est gris et électrique. Ce n’est pas pour rien que j'ai apporté mon k-way roulé en boule et accroché à la taille. J'accélère un peu la cadence, je ne voudrais pas me faire avoir par la pluie. Mais je n'ai fait que la moitié de mon parcours habituel lorsque j'atteins le pont d'Irwyn pour faire demi-tour.

 Je monte les marches et je me demande si je vais la croiser. Elle, c’est la fille que je croise systématiquement tous les samedis, quelle que soit l'heure à laquelle je viens courir. C'est étrange quand même ! C'est un peu comme si elle me guettait et m'attendait à l'autre bout du pont et que, me reconnaissant, elle se mette à courir dans ma direction. Je n'ai jamais perçu dans son regard la moindre bizarrerie, juste un regard entre joggers. En déboulant des marches, mes yeux ont alors pris l'habitude de la chercher au loin, pariant entre eux qu'elle ne sera pas là aujourd'hui. Mais pourquoi ne serait-elle pas là aujourd'hui ? Et pourquoi suis-je à chaque fois aussi surprise de la voir débarquer ? Cette drôle de coïncidence, cette incertitude permanente, tout cela pimente mon jogging, et ça m'amuse. On s'entrecroise, on se sourit, et puis chacune repart dans l'autre sens.

5 novembre 2007

Nicole Vivek 2/16

On se croise, on se sourit, et puis chacune repart dans l'autre sens.

 Quand je reviens à ma voiture, je suis affreusement essoufflée, mais satisfaite d'être arrivée à temps. L'orage commence à gronder, et d'ici quelques minutes, sa copine la pluie va rappliquer. En attendant d'être obligée de me réfugier dans mon habitacle, j'ouvre la fenêtre de la voiture et allume la radio. J'ai besoin de musique pour faire mes étirements. Déjà que je m'empêche volontairement de ne pas encombrer mes oreilles d'écouteurs MP3 pendant que je cours, mon esprit ne pourrait pas supporter plus longtemps ce vide orchestral. J'ai l'habitude d'avoir perpétuellement des tas de sons dans ma tête, je ne pourrais pas vivre sans. Même au cabinet, quand le patron n'est pas sur mon dos, je sors discrètement la petite radio cachée dans mon tiroir et, volume minimum, je tourne le bouton. Mes pieds peuvent à loisir marquer le tempo sous le bureau, à l'abri de ceux qui trouveraient ça indécent. Mais aujourd'hui, c'est sans gêne que je monte le son sur le parking, les autres joggers appréciant indéniablement cette note de bonne humeur après les souffrances de la course. Je m'étire soigneusement, défiant le regard de ces messieurs qui me matent sans pudeur. Je ne provoque pas, mais ça ne me déplait pas de me trémousser avec une fausse réserve et de savoir que je suis l'objet de quelques désirs. Je suis de ces femmes sur le front desquelles tous les hommes croient lire Inaccessible. Je sens leur regard en appétit, mais jamais, jamais ils ne dépasseront cette limite imaginaire pour venir me draguer. Je dois leur faire peur...

 Forcément, quand on est notaire de profession, jeune et déjà revêche, ça doit être un peu rebutant. Je suis quelqu'un d'opprimé, prisonnière d'une ambition qui n'était pas la sienne. Moi, je voulais faire de ma vie une scène de danse. Depuis que j'ai l'âge de marcher, je voulais être danseuse. Mais je ne suis pas venue au monde dans la bonne famille. Mes parents n'étaient pas de ceux qui encourageaient leurs enfants dans des voies artistiques. Ils me répètent encore aujourd’hui Danse tant que tu veux, prend des cours si ça te chante, mais ne viens pas, pour l'amour du ciel, parler de devenir danseuse ! Et pourtant, mes parents n'ont jamais aspiré à gouverner leur famille avec autorité et étroitesse d'esprit. Ils sont plutôt du genre libéral. Mais même les libéraux s'imposent des règles. Leurs enfants, par exemple, doivent, en plus d'être disciplinés et en bonne santé, poursuivre un cursus scolaire prestigieux, avec mention au bac, et hautes écoles. Ils sont destinés dès leur conception à l'intérêt de la communauté. Ils se dirigent tout naturellement vers des professions telles que la médecine, le droit, l'enseignement. Mon grand frère est professeur agrégé d'économie, ma sœur est officier dans la Marine Française et mon petit frère est en dernière année de prépa. Les parents ont toujours eu de quoi être fiers ! Il y avait suffisamment de prestige dans la famille pour laisser tranquille la petite Nicole, écœurée très tôt par l'école, et dont l'unique raison de vivre était de faire valser son corps au son de n'importe quelle musique. Mais non, Calann et Flore Vivek n'entendaient pas abandonner leur petite fille à des joies sans avenir. J'avais du talent, certes. Ma famille aimait venir voir mon spectacle de fin d'année. Mais il est normal que les enfants excellent également dans leurs activités extrascolaires. Je dansais seulement aussi bien qu'Irvinn, le grand frère modèle, jouait au tennis. Et même lorsque l'école de danse a donné mon nom au célèbre chorégraphe Sophiane Nesredine pour figurer dans son spectacle, alors que j'avais sept ans, mes parents n'y ont vu qu'une anecdote agréable à raconter à leurs amis. D'ailleurs, s'ils avaient su qu'il s'agissait plus pour moi d'un début de vocation, probablement qu'ils m'auraient retiré de la troupe. On danse pour s'amuser, pas pour gagner sa vie.

5 novembre 2007

Nicole Vivek 3/16

On danse pour s'amuser, pas pour gagner sa vie.

 Mais moi, je sentais le besoin accablant d'explorer toutes les façons de bouger du monde entier. Je cabriolais dans tous les coins dès lors que mes oreilles percevaient le plus petit son mélodieux. Pourquoi pas, disaient mes parents, du moment que tu ramènes des bonnes notes. J'ai pris ça au pied de la lettre, et je me suis donnée beaucoup de mal pour récolter ces fameuses bonnes notes. Je n'avais hélas pas vraiment les mêmes facilités que mes frères et sœur. Plus je trébuchais à l'école, et plus l'on me submergeait de cours particuliers, de devoirs de rattrapage, de tout plein de ce temps que j'aurais préféré passer à perfectionner ma gestuelle. Mais si j'ai fait autant d'efforts à l'école, c'était parce que je croyais dur comme fer que tôt ou tard mes parents m'inscriraient dans un sport étude, ou dans quelque école spécialisée où la danse ferait intégralement partie du programme. J'ai été bête d'envisager une seule seconde que cette idée ait pu les effleurer. J'ai du très vite me faire une raison, et faire un choix. Soit je me consacrais exclusivement à mes études, suant à grosses gouttes pour satisfaire mes parents et pour obtenir un boulot confortable, soit je décidais de partir à l'aventure, d'entrer dans le monde ingrat des artistes et de subir perpétuellement les reproches de ma famille. A l'époque du lycée, je me torturais l'esprit, consumée par ce dilemme que je croyais crucial et délicat. Et finalement, c’est sans larme et sans rancune que je me suis rangée bien sagement sur le banc de la gentille fille à ses parents. Je me suis alors forcée à croire que j’avais pris la bonne décision, et j’ai fini par le croire vraiment. Je n’ai jamais pu accuser mes parents de quoi que ce soit. Aujourd'hui, j'ai vingt-cinq ans, je suis un notaire très respecté, très bien rémunéré. Je suis célibataire certes, mais je ne compte pas le rester. J'arrive quelque fois à trouver du plaisir dans mon travail. Mais sincèrement, j'ai beau essayé de me convaincre, la seule chose qui me rende encore heureuse aujourd'hui, c'est quand je me retrouve seule chez moi, que je mets la musique, et que j’entre littéralement en transe. A bas le tailleur ! Un vieux t-shirt suffit ! Si seulement tout pouvait se résumer à ça ! On ferme les yeux et on se laisse aller...

 Peut-être n’ai-je aucun talent. J'ai abandonné les cours de danse trop tôt pour savoir ce que je valais. Ce que je sais, je l'ai appris toute seule, et il n'y a que mon fidèle miroir qui puisse me dire si c'est bien ou pas. Mes parents ne m'ont jamais interdit les cours de danse, ils m'ont seulement imposé un soutien scolaire particulièrement intensif. Et les deux se combinant difficilement, il a fallu sacrifier quelque chose. Toujours est-il que maintenant, je suis une danseuse frustrée, une fille qui est obligée d'exprimer sa passion dans son salon et certainement maladroitement. Mais peut-être que je gâche mon génie...

 En tout cas, au jour d'aujourd'hui, alors que je m'étire, j'apprécie les regards que l'on porte sur moi. Je ne cherche pas à savoir ce qu'ils signifient. Peut-être ai-je l'instinct de la grande danseuse toujours sous les projecteurs, toujours offerte au regard du public. Mais mes rêves restent dehors lorsque je rentre dans ma voiture et que je ferme la portière. Quand je sors du parking, le ciel déverse instantanément une pluie torrentielle. Ma vie est comme ça, providentielle, et sans surprise.

 

 

 La semaine s'est déployée avec calme et volupté... Et même si je n'arrive pas à adorer mon boulot, je le fais avec autant de professionnalisme que possible, mais sans débauche d'énergie. Tous les matins, je traîne les pieds, j'ouvre mon bureau avec le sentiment amer de perdre mon temps. Je fais ce qu’il y a à faire, j’essaie d’être la meilleure, et j’y arrive sans trop de difficulté. Le minimum m’octroie la préférence du patron, préférence purement professionnelle. Les autres me respectent parce que je fais du bon boulot, et parce qu’ils croient que je m’épanouie dans ces méandres de paperasses. Je ne peux pas dire que je déteste mon boulot, mais de là à dire que je l'adore ! Par moment, je ressens un tel ennui ! Je sais bien qu'il y a des tas de gens qui ont un job par simple souci financier, pour payer les factures et les courses. Je sais bien que je ne suis pas la seule au monde à ne trouver aucun plaisir dans son boulot. Je sais bien qu'il y en a qui envient mon salaire. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Mais si seulement ils savaient que j'échangerais volontiers tout ça contre la liberté de danser !

 Tout ça étant, je ne suis pas là pour ressasser ma semaine. C'est justement pour évacuer toutes les tensions du cabinet que je viens courir ici. Si je m'éloigne de chez moi, c'est un peu pour m'éloigner de mon quotidien, alors finies les pensées noires ! 

 Il a plu toute la nuit. Je respire cette odeur particulière de terre mouillée qui me rappelle les promenades familiales au bois de Vincennes. Il fait frais. Ça fait à peine cinq minutes que je suis partie et je sens déjà mes joues en feu. Il y a des jours comme ça où on ne se sent pas très courageuse. J'ai eu du mal à me sortir du lit ce matin. J'ai même failli me convaincre que faire une exception ne me serait pas fatal. Mais j'ai fini par faire taire cette petite voix mielleuse, et c'est avec poigne que j'ai enfilé ma tenue. Manquer mon rituel ! Que je sois maudite si je deviens paresseuse ! Alors me voilà, fraîche et dispos, frissonnante sous une température pas très généreuse. J'aperçois le pont d'Irwyn, je n'ai même pas fait la moitié...

5 novembre 2007

Nicole Vivek 4/16

J'aperçois le pont d'Irwyn, je n'ai même pas fait la moitié...

 Quand j'arrive en haut des marches, mon regard cherche instinctivement au loin la mystérieuse jeune fille. Personne à l'horizon. C'est étrange. Ce doit être la première fois en un an que je ne la vois pas. Ce n’est pas comme si elle m'avait posé un lapin, je n'ai jamais attendu cette rencontre avec un sentiment amoureux. Les filles, sur ce plan, ce n’est pas mon truc. Mais je ne sais pas, il y a quelque chose dans son regard, dans son allure qui me pousse à croire qu'on pourrait bien s'entendre. Oh ! Ce n'est que partie remise. Après tout, elle a bien raison de rester chez elle aujourd'hui, il fait si froid. Je ne vois pas pourquoi elle devrait systématiquement être là quand j'y suis.

 Je ne vais pas en faire toute une histoire. Je dois me concentrer sur mon pas de course, et je dois accélérer si je ne veux pas geler sur place. On est fin septembre, et on se croirait en hiver, en Sibérie même. Je sais, j'exagère. N'empêche que j'ai froid. Sur la rive du retour, le nombre de joggers diminue. Et quand j'arrive sur le parking, il n'y a pratiquement plus de voitures, plus de beaux garçons pour me regarder faire mes étirements. A quoi bon ? Est-ce que ça vaut vraiment la peine que je fasse quelques exercices, alors que je serais bien mieux dans ma voiture avec le chauffage à fond ? Mais hélas, un de mes principaux traits de caractère, c'est d'être obstinée et inlassablement active. Si je ne décharge pas maintenant toute la tension de la course, je vais me sentir lourde et insupportable tout le week-end. Alors j'allume la radio, j'attrape la couverture de la banquette arrière et la jette sur mes épaules, et puis je décrispe mes membres frigorifiés. Je me réchauffe rapidement, entraînée par le dernier David Ghetta. Je serais peut-être pas mal dans un de ses clips...

 - " Excuse-moi ? "

 Surprise, je lâche un petit cri de frayeur. La voix n'a rien d'agressive mais, débarquant de nulle part, elle me fige. Je me retourne et tombe nez à nez avec la jeune fille du pont. Je la reconnais aussitôt :

 - " Salut, ça va ? Ça m'a fait bizarre de ne pas t'avoir croisée sur le pont. On s'est raté de peu, je crois. "

 Elle me parle comme si on était de vieilles connaissances. Pas la moindre gêne, juste une légère rougeur sur les joues que j'attribue à la température. Je reste concentrée sur mes fessiers, et en même temps, je lui adresse un regard amusé. Elle a un drôle d'accent, quelque chose qui vient du Nord, allemand peut-être. La blondeur de ses cheveux, son teint pâle et ses yeux bleus ne me contredisent pas :

 - " Oui, c‘est vrai...

 - Je m'appelle Séleste.

 - Moi, c'est Nicole. "

 La poignée de main ferait trop virile, la bise un peu prématurée. Alors pour officialiser ces présentations, Séleste entreprend de s'étirer à côté de moi. Un agréable silence s'installe. Le sport et la papote ne font pas bon ménage, c'est bien connu. Mais Séleste semble être quelqu'un, un peu comme moi, qui a du mal à garder le silence devant un inconnu. J'aime le silence entre deux personnes, lorsque celui-ci exprime autant de choses que de simples mots. Mais la complicité doit être sincère. C'est elle qui rompt le silence :

 - " Ça fait combien de temps que l'on se croise pratiquement tous les samedis ? Six mois ?

 - Oh ! Plus, je t'assure. J'ai commencé à courir ici il y a à peu près un an, et il me semble t'avoir toujours aperçue.

 - Il était temps de briser la glace, non ?

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5 novembre 2007

Nicole Vivek 5/16

- Il était temps de briser la glace, non ?

 - Oh, je suis sûre qu'on aurait pu continuer encore longtemps comme ça, à courir incognito. Mais je suis bien contente que tu ais fait le premier pas. Tu n’es pas du genre timide, hein ?

 - Pas vraiment, non. Mais là n'est pas la question. Il faut savoir foncer quand on veut quelque chose. 

 - On parle bien d'amitié, n'est-ce pas ? "

 Ses yeux s'élargissent. J’ai dit ça sans arrière pensée, mais je me rends compte que mon insinuation pourrait être blessante. Je me sens gênée tout à coup :

 - " Je dis ça parce que je voudrais pas qu'il y ait de malentendu...

 - Non, t'as raison. De nos jours, vaut mieux savoir ce genre de choses avant d'entamer quoi que ce soit. Ma copine Nilani, elle s'était fait avoir comme ça en s'entichant d'un mec, un pur homo qui cachait bien son jeu. Non, moi, c'est les mecs qui me font jouir. D'ailleurs, entre nous, le mec là, à côté de la Polo, il est pas mal. Qu'est-ce que t'en dis ? "

 C'est moi maintenant qui reste abasourdie. Cela fait à peine cinq minutes qu'on se parle, et on en est déjà aux confidences... Séleste me lance un clin d'oeil, et je me retourne discrètement vers ce qu'elle continue de fixer. Le mec en question a un ridicule short rouge, et un gros sweat bleu marine, il se tient les côtes, et son visage est défiguré par l‘essoufflement. Quand je reviens à Séleste, j'arbore une petite grimace :

 - " Écoute, je te le laisse. Ce n’est pas mon genre.

 - Je ne vais pas non plus lui sauter dessus... Mais ce n’est pas plus mal qu'on n'ait pas les mêmes goûts en matière de garçon, comme ça, pas de rivalité, pas de dispute.

 - C'est vrai que ce serait dommage de gâcher une si belle ébauche d'amitié à cause d'eux. "

 Cinq minutes passent encore dans un grand silence. Toute mon attention est rapportée sur mes exercices. Mais je sursaute lorsque je vois Séleste s'ébrouer comme un chiot et me fixer sévèrement :

 - " Tu crois au coup de foudre ? Coup de foudre amical, je veux dire ? "

 Sa question ne me surprend pas vraiment, comme si elle me trottait déjà dans la tête avant que Séleste ne la pose.

 - " Au jour d'aujourd'hui, je peux compter trois ou quatre amis véritables dans mon entourage. Mais à aucun d'eux je ne peux donner le titre de meilleur ami. Je n'ai jamais eu de meilleur ami. C'est aussi difficile à trouver que le grand amour. Alors, pour répondre à ta question, oui, je crois que je crois au coup de foudre amical.

 - Moi aussi, j'y crois. "

 Cette fille m'impressionne. Je ne sais rien d'elle, et je lui dis de ces choses que je ne dirais même pas à ma sœur. Elle continue :

 - " Tu sais, c'est pas dans mon habitude d'aborder les gens comme ça, même si je suis plutôt du genre liante. Mais je me suis dit que si aucune de nous deux n'osait accoster l'autre, et bien je me suis dit qu'on allait passer à côté de quelque chose. Et je n’aime pas avoir de regret.

 - Tu sais que tu commences à me faire peur ?

 - Pourquoi ? Parce que je dis ce que tu penses ?

 - Tiens, tu vois ? J'ai même pas besoin de te répondre. T'es extralucide ?

 - Juste poisson, et les poissons sont réputés pour leur intuition.

 - D'accord. Mais comment tu peux être aussi sûre qu'on est faites pour s'entendre ?

 - Tu me charries, pas vrai ? Tu vas me faire croire que tu ne ressens pas une sorte d'attirance ? En tout bien, tout honneur, cela va de soi.

 - Peut-être ! Mais je suis plutôt méfiante vis-à-vis des inconnus...

5 novembre 2007

Nicole Vivek 6/16

Mais je suis plutôt méfiante vis-à-vis des inconnus...

 - A un moment ou un autre, tout le monde est inconnu. Tout commence par là.

 - T'as raison, je dis pas le contraire. Et tu sais, la méfiance ne m'a pas apporté que du bon. C'est un défaut plus qu'autre chose. "

 Je ne sais plus quoi faire comme exercice. J'ai passé en revue tous ceux que je connaissais. Et Séleste commence elle aussi à tourner en rond. Avant même qu'elle n'ouvre la bouche, je sais ce qu'elle va dire :

 - " Dis-moi, Nicole, ça te dirait qu'on aille boire un verre ?

 - Ce serait avec plaisir, mais je déjeune avec ma sœur aujourd'hui. Peut-être une prochaine fois ?

 - Bien sûr. A samedi prochain ?

 - A samedi alors. Cela m'a fait plaisir de discuter avec toi.

 - Moi de même. Salut ! "

 Je pensais qu'elle allait repartir en marchant, tranquillement. Au lieu de ça, Séleste se met à courir, discréditant sans état d'âme les exercices d'étirement qu'elle vient de faire avec soin. Elle est étrange cette fille quand même. Moi aussi d'ailleurs, car je n'ai pas rendez-vous avec ma sœur, Heimiti est en Australie... Elle m’a servi d’alibi, je n’aime pas quand les choses vont trop vite.

 

 

 Mon destin semble avoir été écrit par quelqu'un d'étourdi. Il s'intéresse un cours instant à moi, et puis me néglige pendant plusieurs années. Il a été suffisamment généreux pour me faire découvrir la danse, pour réveiller en moi une passion, mais, en omettant de l'entretenir, il m'a volé une partie de moi. N'aurait-il pas pu intervenir, quand il était encore temps, auprès de mes parents pour les convaincre des bienfaits que m'apporterait la danse ? Entre anges gardiens, n'y avait-il pas moyen de s'arranger ? C'est pareil pour tout. A chaque fois que je prends un tournant dans ma vie, le temps d'adaptation dépend de l'attention que me porte mon ange gardien. Je peux m'intégrer en deux temps trois mouvements, comme je peux mettre un an à trouver ma place. Au lycée, j'ai du attendre la Première pour me sentir bien dans ma classe, la Seconde ayant été une horreur. Cette négligence est parfois dure à supporter, mais j'ai toujours pris mon mal en patience. Aujourd'hui, bien que ma vie professionnelle soit sympathique, j'ai le sentiment que l'ennui qui me submerge avec insistance provient justement d'un manque d'attention du destin. Ma vie est jalonnée d'événements sans importance, de ces choses que l'on regarde sans envie, avec résignation. Mais peut-être ne fais-je tout simplement pas assez d'effort pour ouvrir les yeux et voir ce qui m'est offert ? J'avoue avoir une tendance à l'aveuglement, mais je ne me jette pas toute la faute pour autant, car le manque d'opportunité y est pour quelque chose. Que faire lorsque notre volonté ne rencontre rien et personne de qui s'amouracher ?

5 novembre 2007

Nicole Vivek 7/16

Que faire lorsque notre volonté ne rencontre rien et personne de qui s'amouracher ?

 C'est ce à quoi je pense en courant aujourd'hui. Samedi matin, comme d'habitude, huit heures et demie. La matinée est plutôt radieuse. Un petit vent se fraye un passage à travers les rayons du soleil. J'ai ôté mon gilet, et je me retrouve en débardeur. Je ne sais pas si c'est bien, mais je n'aime pas avoir chaud et encore moins sentir mes vêtements collés à ma peau. Je n'ai pas pensé à ramener une casquette, mais j'aurai du. Je me sens bien. C’est étrange, mais je discerne fortement que, si mon ange gardien m'a quelque peu abandonnée ces derniers temps, il commence à refaire surface. Cette journée est printanière, et tant pis si les arbres prennent des couleurs automnales. En arrivant tout à l'heure, j'ai élucidé ce sentiment en me disant que j'étais tout simplement ravie de revoir Séleste et de bavarder avec elle. Ce doit être cette même bonne humeur que l'on ressent lorsqu'on a rendez-vous avec sa meilleure amie... Mais je passe le pont et ne croise personne. Pas de Séleste à l'horizon. C’est bizarre. Je poursuis néanmoins ma course, non sans jeter un dernier regard derrière moi en descendant du pont. 

 En apercevant ma voiture, je ralentis la cadence. La brise me pousse délicatement, je ne sens plus mes jambes. Mon énergie m'a donné des ailes, mais c'est maintenant que j'en reçois le revers, jambes contractées, essoufflement brûlant. Mais tout ça n'est rien à côté de la surprise que j'ai lorsque je découvre Séleste assise en face de ma voiture, plongée dans un livre, des béquilles posées près d'elle. J'actionne discrètement l'ouverture automatique de la Twingo, et comme je l'espérais, le bruit suffit pour que Séleste lève le nez de son bouquin. Aussitôt qu'elle me voit, elle le referme d'un geste brusque :

 - " Salut Nicole !

 - Salut ! 

 - T'as bien couru ?

 - Plus que toi, en tout cas ! "

 Je lui désigne ses béquilles, et je m’assois à côté d'elle :

 - " Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

 - Oh, rien de bien méchant ! Une vilaine chute et une jolie entorse... J'ai fait ça mardi au boulot. J'ai voulu faire mon intéressante en portant une grosse pile de dossiers, j'en avais tellement que je voyais rien, j'ai raté une marche et paf ! Ah, ça a bien fait marrer tout le monde...

 - Tu t'es rendue intéressante malgré toi...

 - On peut dire ça comme ça. En tout cas, invalide ou pas, je suis quand même venue aujourd'hui.

 - Tu n'étais pas obligée, tu sais. Si tu souffres, tu serais bien mieux chez toi.

 - T'en fais pas, il en faut plus pour que je reste clouée au lit. Et puis, une promesse, c'est une promesse. On avait dit à samedi. On est samedi et je suis là.

 - C’est gentil... ‘’

 Son enthousiasme m’indispose un peu. Je ne sais pas comment la cerner. Elle semble si sûre d’elle, si sincère dans ses confidences. J'ai envie de rentrer dans son jeu, de participer activement à cette relation, mais je ne sais pas comment m'y prendre. Je toujours été mal à l’aise avec les mots. Mais parfois, il faut aller au-delà de ses retranchements :

 - " Non, sincèrement, je suis contente que tu sois là... C'est quoi que tu lis ?

 - Le dernier Larry Kelman, L'homme et Ève. Un truc policier, plutôt pas mal. Tu connais ?

 - Non, moi, la lecture, ce n’est pas mon truc. Je préfère le cinéma, ça demande moins de réflexion.

 - Détrompe-toi, même les dessins animés exigent un minimum de réflexion. Ce n’est pas parce qu'on lit qu'on est plus intelligent, et ce n’est pas parce qu'on préfère les films qu'on est nul. Par exemple, moi, ce que j'adore, c'est voir les adaptations au cinéma des livres que j'ai lu...

 - Ça, ça m'est déjà arrivé, mais dans le sens inverse. J'avais tellement aimé Le Bossu au ciné, tu te souviens de ce film, avec Daniel Auteuil ? Et bien en sortant de la projection, j'ai acheté le bouquin de Féval. Et c'est devenu mon livre de chevet.

 - Et bien, tu vois que tu lis !

 - Celui-là, c'est vrai. Mais j'ai plus de bibelots sur ma bibliothèque que de livres...

 - Ce n’est pas grave. Tu marches au coup de cœur, c'est le principal ! Alors dis-moi Nicole, tu fais quoi dans la vie ? Je te verrais bien dans le monde artistique...

5 novembre 2007

Nicole Vivek 8/16

Je te verrais bien dans le monde artistique...

 - Je suis à mille lieues de ça. Je suis notaire, et le seul art que j'exerce est celui de la signature.

 - Notaire ? Ben ça alors ! Je n’aurais jamais cru qu'une jeune et jolie femme pouvait faire ça. On imagine plutôt ça comme un vieux monsieur grincheux...

 - Ça, c'est au cinéma. Ce sont des clichés pas très sympas pour la profession. J'ai trois collègues femmes, et un patron, peut-être pas tout jeune, mais plutôt sympa. J'ai dîné chez lui il y a quelques semaines, et dans la vie, c'est un sacré bon vivant. Je ne dis pas que ce que je fais me passionne énormément, mais il y a de bons côtés. Et toi ? Tu fais quoi, à part porter des dossiers ?

 - Très drôle ! Je suis secrétaire dans une maison d'édition. Charlie-Lo ? Tu connais ? C'est une boîte spécialisée dans les bouquins universitaires.

 - Ça te plaît ?

 - Beaucoup. J'ai toujours voulu faire ça, les gens sont sympas, des tas de livres me passent entre les mains. C'est vrai que quand on dit universitaire, on pense à des livres un peu rasants, mais quand on est curieux comme je le suis, c'est génial !

 - J'imagine que tu dois avoir une culture générale impressionnante...

 - Pour les sujets qui m'intéressent, qui me scotchent vraiment, ouais, c'est vrai que je retiens facilement. Mais autrement, ça rentre et ça ressort aussitôt. J'ai une mémoire plutôt sélective.

 - Ça doit être chouette de prendre son pied au boulot.

 - Tu connais pas ça, toi ? Ce n’est pas par vocation que t'es devenue notaire ?

 - Tu sais, je me suis lancée dans le droit comme j'aurais pu aller en médecine ou en lettres. Et si tu veux tout savoir, j'ai choisi la voix notariale par pur hasard. La veille de la remise des dossiers, je me souviens que j'avais établi une liste des différentes carrières possibles, je les avais numérotées. Il y en avait six. Six, c'était parfait, parce que j'ai déniché un dé, je l'ai lancé avec une grande inspiration, il s'est arrêté sur le deux. Deux, c'était notaire... "

 De dire ça, ça me fout un cafard pas possible. Je n'avais jamais repensé à ce moment. Ce n'est pas vraiment une anecdote facile à raconter, je n’en tire pas beaucoup de fierté. Mais Séleste n'est pas n'importe qui. Je me rends compte que je regarde bêtement mes pieds, je dois avoir l'air bête. Séleste me donne un gentil coup d'épaule :

 - " Waouh ! Je n'ai jamais fait ça, moi. Tout miser sur la hasard... Moi qui me prend la tête pour un oui ou pour un non, je devrais peut-être laisser le hasard décider à ma place parfois. Ça m'éviterait pas mal de migraine !

 - Oui, mais tu sais, je suis pas sûre d'être tombée sur le bon numéro.

 - T'as des regrets ? "

 Mais pourquoi je lui dis tout ça ? Qu'est-ce qu'elle cherche à me faire dire ? On est assise l'une à côté de l'autre, on se parle sans se faire face. J'ai presque l'impression d'être à une séance de psy. Les questions sont choisies de telle manière qu'elles évacuent pas mal de choses qui trottent dans ma petite tête. Est-ce que Séleste est consciente de ce qu'elle provoque en moi ? Mais au fond, il n'y a pas d'effet malsain, je me sens au contraire plutôt soulagée de pouvoir parler avec autant de liberté. Séleste ne me connaît pas assez pour me juger. Elle est d'ailleurs assez conciliante. Ce que je dis ne semble pas la choquer. Pourquoi pas continuer ?

 - J'ai toujours voulu être danseuse.

 - Danseuse ? Ah, tu vois ! Quand je disais que je te voyais dans le monde artistique ! Danseuse de quoi ?

 - Danseuse de quoi ?

 - Ben oui ! Classique, moderne, danse de salon, danse sportive, qu'est-ce qu'il y a d'autre... hip-hop, flamenco...

5 novembre 2007

Nicole Vivek 9/16

Classique, moderne, danse de salon, danse sportive, qu'est-ce qu'il y a d'autre... hip-hop, flamenco...

 - Je n’ai pas eu le temps de savoir dans quoi je voulais me spécialiser. Tout ce que je voulais moi, c'était danser, un point c'est tout.

 - En faire ton métier ?

 - Pourquoi pas ! Quand j'étais petite, je croyais être destinée à la danse. Mais sur ce coup, la chance ne m'a pas été favorable.

 - La chance... C'est un peu facile de lui mettre ça sur le dos.

 - Je sais, je ne devrais pas. Oh, tu sais, depuis j'ai fait du chemin. La danse reste un loisir.

 - Tu suis des cours ?

 - Non. "

 Je sens que ce n'est pas la bonne réponse. Ça fait tilt dans ma tête. Laisser une décision au hasard, par pur dépit, jouer mon métier au dé, je l'ai fait sans remords. Mais s'il y a une chose à laquelle j'aurais du me raccrocher avec plus de rationalité, c'est bien la danse. J'ai tout abandonné parce que je pensais que c'était ce qu'on attendait de moi. Mais qui est ce on ? Mes parents ? Mes amis ? Ils ne sont responsables de rien, seulement de vouloir le meilleur pour moi. Séleste n'a pas réagi à ma réponse. Elle regarde la couverture de son livre, elle semble perdue dans ses pensées, et pourtant, sans lever la tête, elle murmure :

 - Les regrets ne servent à rien. Ils ne font que nous rappeler de mauvais moments. Faire de la danse ton métier, c'est de toute manière trop tard. Ce n'est pas à quoi... vingt-sept, vingt-huit ans qu'on commence à courir les castings, surtout si on n'a aucune formation.

 - Je sais.

 - On a tous cette part de passé dont on n'arrive pas à se séparer.

 - C'est quoi pour toi ? Si ce n’est pas indiscret... "

 Elle ne répond pas tout de suite. Elle manipule son livre avec maladresse. L’enthousiasme que je lui connais depuis le début s'est estompé. On est peut-être allé un peu loin dans les confidences, et pourtant :

 - " A dix-sept ans, je suis tombée enceinte. Je ne pouvais pas le dire à mes parents et je n'avais personne à qui me confier. Même le père ne l'a jamais su. En fait, je n’ai pas beaucoup réfléchi. J'ai réalisée que j'étais enceinte une semaine avant le délai légal, et prise de panique, je me suis faite avorter. A l'époque, je n'avais pas conscience de la gravité de mon acte. Quatre ans après, mon copain, le même, m'a demandé de lui faire un bébé. J'étais ravie, mais le bébé ne venait pas. On a fait des analyses, et on a découvert que j'étais devenue stérile. En apprenant ça, Melki m'a fait comprendre qu'il n'envisageait pas l'avenir sans enfant, et il m‘a quittée. Aujourd'hui, ça va. Mais ça n'a pas été facile de tourner la page, j'en avais gros sur la conscience.

 - Je... je suis désolée. Et moi qui me plaignais de ne pas être danseuse !

 - C'est vrai que c'est différent, mais ton regret est tout aussi valable que le mien. Rien n'est facile dans la vie !

 - Oui, mais quand même...

 - T'inquiète ! On ne va pas virer dépressive ! L'avenir est à nous si on veut s‘en donner les moyens... "

 Séleste se lève doucement. Je me redresse également :

 - " Tu penses que tu pourras venir courir, samedi prochain ?

 - Il y a des chances, oui. Tu sais, Nicole, je n’ai jamais confié à personne ce que je viens de te dire. Il y a quelque chose en toi qui m'incite à la confiance. J'espère que tu n'en es pas trop gênée.

 - Je ne peux pas dire que je le sois, parce que je ressens la même chose.

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