Que faire lorsque notre volonté ne rencontre rien et
personne de qui s'amouracher ?
C'est
ce à quoi je pense en courant aujourd'hui. Samedi matin, comme d'habitude, huit
heures et demie. La matinée est plutôt radieuse. Un petit vent se fraye un
passage à travers les rayons du soleil. J'ai ôté mon gilet, et je me retrouve
en débardeur. Je ne sais pas si c'est bien, mais je n'aime pas avoir chaud et
encore moins sentir mes vêtements collés à ma peau. Je n'ai pas pensé à ramener
une casquette, mais j'aurai du. Je me sens bien. C’est étrange, mais je
discerne fortement que, si mon ange gardien m'a quelque peu abandonnée ces
derniers temps, il commence à refaire surface. Cette journée est printanière,
et tant pis si les arbres prennent des couleurs automnales. En arrivant tout à
l'heure, j'ai élucidé ce sentiment en me disant que j'étais tout simplement
ravie de revoir Séleste et de bavarder avec elle. Ce doit être cette même bonne
humeur que l'on ressent lorsqu'on a rendez-vous avec sa meilleure amie... Mais
je passe le pont et ne croise personne. Pas de Séleste à l'horizon. C’est
bizarre. Je poursuis néanmoins ma course, non sans jeter un dernier regard
derrière moi en descendant du pont.
En
apercevant ma voiture, je ralentis la cadence. La brise me pousse délicatement,
je ne sens plus mes jambes. Mon énergie m'a donné des ailes, mais c'est
maintenant que j'en reçois le revers, jambes contractées, essoufflement brûlant.
Mais tout ça n'est rien à côté de la surprise que j'ai lorsque je découvre
Séleste assise en face de ma voiture, plongée dans un livre, des béquilles
posées près d'elle. J'actionne discrètement l'ouverture automatique de la
Twingo, et comme je l'espérais, le bruit suffit pour que Séleste lève le nez de
son bouquin. Aussitôt qu'elle me voit, elle le referme d'un geste brusque :
-
" Salut Nicole !
-
Salut !
-
T'as bien couru ?
-
Plus que toi, en tout cas ! "
Je
lui désigne ses béquilles, et je m’assois à côté d'elle :
-
" Qu'est-ce qui t'est arrivé ?
- Oh,
rien de bien méchant ! Une vilaine chute et une jolie entorse... J'ai fait ça
mardi au boulot. J'ai voulu faire mon intéressante en portant une grosse pile
de dossiers, j'en avais tellement que je voyais rien, j'ai raté une marche et
paf ! Ah, ça a bien fait marrer tout le monde...
- Tu t'es rendue intéressante malgré toi...
- On
peut dire ça comme ça. En tout cas, invalide ou pas, je suis quand même venue
aujourd'hui.
- Tu
n'étais pas obligée, tu sais. Si tu souffres, tu serais bien mieux chez toi.
-
T'en fais pas, il en faut plus pour que je reste clouée au lit. Et puis, une
promesse, c'est une promesse. On avait dit à samedi. On est samedi et je suis
là.
-
C’est gentil... ‘’
Son
enthousiasme m’indispose un peu. Je ne sais pas comment la cerner. Elle semble
si sûre d’elle, si sincère dans ses confidences. J'ai envie de rentrer dans son
jeu, de participer activement à cette relation, mais je ne sais pas comment m'y
prendre. Je toujours été mal à l’aise avec les mots. Mais parfois, il faut
aller au-delà de ses retranchements :
-
" Non, sincèrement, je suis contente que tu sois là... C'est quoi que tu
lis ?
- Le
dernier Larry Kelman, L'homme et Ève.
Un truc policier, plutôt pas mal. Tu connais ?
-
Non, moi, la lecture, ce n’est pas mon truc. Je préfère le cinéma, ça demande
moins de réflexion.
-
Détrompe-toi, même les dessins animés exigent un minimum de réflexion. Ce n’est
pas parce qu'on lit qu'on est plus intelligent, et ce n’est pas parce qu'on
préfère les films qu'on est nul. Par exemple, moi, ce que j'adore, c'est voir
les adaptations au cinéma des livres que j'ai lu...
- Ça, ça m'est déjà arrivé, mais dans le sens inverse.
J'avais tellement aimé Le Bossu au ciné, tu te souviens de ce film, avec
Daniel Auteuil ? Et bien en sortant de la projection, j'ai acheté le bouquin de
Féval. Et c'est devenu mon livre de chevet.
- Et
bien, tu vois que tu lis !
-
Celui-là, c'est vrai. Mais j'ai plus de bibelots sur ma bibliothèque que de
livres...
- Ce
n’est pas grave. Tu marches au coup de cœur, c'est le principal ! Alors dis-moi
Nicole, tu fais quoi dans la vie ? Je te verrais bien dans le monde
artistique...