Nicole Vivek 6/16
Mais je suis plutôt méfiante vis-à-vis des inconnus...
- A
un moment ou un autre, tout le monde est inconnu. Tout commence par là.
-
T'as raison, je dis pas le contraire. Et tu sais, la méfiance ne m'a pas
apporté que du bon. C'est un défaut plus qu'autre chose. "
Je ne
sais plus quoi faire comme exercice. J'ai passé en revue tous ceux que je
connaissais. Et Séleste commence elle aussi à tourner en rond. Avant même
qu'elle n'ouvre la bouche, je sais ce qu'elle va dire :
-
" Dis-moi, Nicole, ça te dirait qu'on aille boire un verre ?
- Ce
serait avec plaisir, mais je déjeune avec ma sœur aujourd'hui. Peut-être une
prochaine fois ?
-
Bien sûr. A samedi prochain ?
- A
samedi alors. Cela m'a fait plaisir de discuter avec toi.
- Moi
de même. Salut ! "
Je
pensais qu'elle allait repartir en marchant, tranquillement. Au lieu de ça,
Séleste se met à courir, discréditant sans état d'âme les exercices d'étirement
qu'elle vient de faire avec soin. Elle est étrange cette fille quand même. Moi
aussi d'ailleurs, car je n'ai pas rendez-vous avec ma sœur, Heimiti est en
Australie... Elle m’a servi d’alibi, je n’aime pas quand les choses vont trop
vite.
Mon
destin semble avoir été écrit par quelqu'un d'étourdi. Il s'intéresse un cours
instant à moi, et puis me néglige pendant plusieurs années. Il a été
suffisamment généreux pour me faire découvrir la danse, pour réveiller en moi
une passion, mais, en omettant de l'entretenir, il m'a volé une partie de moi.
N'aurait-il pas pu intervenir, quand il était encore temps, auprès de mes
parents pour les convaincre des bienfaits que m'apporterait la danse ? Entre
anges gardiens, n'y avait-il pas moyen de s'arranger ? C'est pareil pour tout.
A chaque fois que je prends un tournant dans ma vie, le temps d'adaptation
dépend de l'attention que me porte mon ange gardien. Je peux m'intégrer en deux
temps trois mouvements, comme je peux mettre un an à trouver ma place. Au
lycée, j'ai du attendre la Première pour me sentir bien dans ma classe, la
Seconde ayant été une horreur. Cette négligence est parfois dure à supporter,
mais j'ai toujours pris mon mal en patience. Aujourd'hui, bien que ma vie
professionnelle soit sympathique, j'ai le sentiment que l'ennui qui me submerge
avec insistance provient justement d'un manque d'attention du destin. Ma vie
est jalonnée d'événements sans importance, de ces choses que l'on regarde sans
envie, avec résignation. Mais peut-être ne fais-je tout simplement pas assez
d'effort pour ouvrir les yeux et voir ce qui m'est offert ? J'avoue avoir une
tendance à l'aveuglement, mais je ne me jette pas toute la faute pour autant,
car le manque d'opportunité y est pour quelque chose. Que faire lorsque notre
volonté ne rencontre rien et personne de qui s'amouracher ?