Nicole Vivek 14/16
Je ne fais pas tâche avec ma chemisette ocre et
légèrement transparente.
Plus
la soirée passe, et plus je découvre une nouvelle Séleste. C'est elle qui m'a
offert de rentrer dans son cercle. C'est elle qui devrait diriger mes pas,
puisqu'il y a des choses qui me sont encore inconnues. En arrivant ici, je
pensais retrouver l'amie qui m'écoute et qui se confie à moi sur le banc, celle
en qui j'ai découvert une confiance inhabituelle. C'est alors d'autant plus
stupéfiant que là, loin des sentiers de la Seine, il n'y a plus ce lien
invisible entre elle et moi. Sans m'abandonner complètement, Séleste me laisse
seulement faire ce que je veux avec ses amis. A ce stade, je ne suis qu'une
amie, rien de plus. Ce n'est pas elle qui me prend le bras pour descendre les
escaliers, ce n'est avec elle qui m'invite sur la piste de danse. Elle est là,
mais les autres aussi. Elle m'a intégrée dans son groupe, à moi maintenant de
me débrouiller. Cette indépendance ne m'est pas désagréable, au contraire.
Devant Séleste, je n'arrive pas à me lâcher complètement, alors que face à
Komal, je m'abandonne à d'agiles chorégraphies. Elle est plus séductrice, plus
provocatrice que moi, mais à nous deux, on enflamme carrément le dancefloor. On
en met plein la vue, et ce n’est pas les regards émoustillés et impressionnés
qui manquent. C'est fou comme on peut se lâcher lorsqu'on a un public ! Tous
les mouvements que je répétais toute seule devant mon miroir font finalement un
bel effet. La musique, même si ce n'est pas celle que j'ai l'habitude
d'écouter, m'entraîne, me dirige comme un maître de marionnettes. L'euphorie
qui m'envahit n'est pas celle de l'alcool, je suis grisée par la liberté que je
sens naître en moi. Je ne suis pas une accoutumée des boîtes. Avec mes amis, on
a plutôt tendance à organiser de sages dîners à la maison ou au resto. Ce sont
des soirées super sympas, je ne dis pas le contraire, mais c'est différent, ça
n'a rien à voir.
Séleste
est assise dans un coin, discutant avec un gars qu'elle ne m'a pas présenté.
Parfois elle me jette un coup d’œil et me sourit, mais je ne suis pas son
centre d'intérêt. Et moi, je ne sens aucun remords à négliger celle qui m'a
fait connaître cet endroit. Je ne sais pas si j'aurais l'occasion de revenir
ici, alors j'en profite au maximum.
Néanmoins,
lorsque l'heure de la fermeture sonne, il faut bien se résoudre à abandonner la
place. Mais on a du mal à se faire à l'idée de remonter les escaliers et de
retrouver l'air frais de dehors. Pour l'instant, on est toutes réunies autour
d'une petite table, tapies juste au-dessous d'une boule à facette, affalées et
éreintées. Personne ne dit mot, et tout le monde sirote un dernier verre, un
jus de pamplemousse pour moi. La salle est vide, la musique a baissé le volume,
et les employés commencent à sortir les balais. Ce devrait être le signe du
départ, mais personne ne fait mine de se lever. Et je ne me sens pas l’audace
de mener la marche. C’est finalement Séleste qui claque des mains et qui se
dresse de toute sa grandeur pour annoncer le départ. Comme de bons petits
sujets, on la suit.
Quand
on se retrouve enfin dehors, Séleste fait une tournée de bises et m'explique
qu'elle habite au-dessus de Jammy. Je suis obligée d'affronter le soulagement
que je ressens à cette annonce. Je n'arrive pas à comprendre comment une
personne peut être aussi différente selon le contexte. Séleste n'a pas du tout
été désagréable, mais elle m'avait seulement habituée à autre chose. Ces belles
paroles sur l'échange de confidences, sur la confiance inspirée, sur le
sentiment d'une magnifique relation naissante, j'ai du mal à croire qu’elles
viennent de cette même personne, celle-là même qui m'a négligée pratiquement
toute la soirée. Quelle soirée désastreuse j'aurais passé si ses amis ne
m'avaient pas autant plu ! C'est avec plaisir que j'accepte que Komal, Jalila
et Nilani m'accompagnent à ma voiture. Sans la présence de Séleste, j'ai
vraiment l'impression d'appartenir à ce petit comité. Je suis passée du stade
d'invité à celui de membre. Je me sens tellement redevable :
-
" Vous rentrez comment ? "
C'est
Nilani qui répond :